Selon l'idée que le vivant peut intercéder pour un mort, notre suffrage de vivants t'invite ...
à t'engager dans la Voie Lactée,
à traverser, avec majesté, les Champs-Elysées;
nous souhaitons que ton chemin soit droit, sans détour.
Pour tes oeuvres si belles, reçois notre hommage sincère.
Ce n'est qu'un au-revoir.
Tu as été ce que nous sommes, nous deviendrons ce que tu es. Tel est notre destin.
De tes compagnons de lutte
Joseph-Albert Malula et Joseph Kasa-Vubu, Joseph Iléo
et Patrice Lumumba, Cyrille Adoula et Emmanuel Kimbimbi,
Antoine Nguenza, Albert Nkuli et Marcel Lihau,
Isidore Kanana et Liévin Kalubi Belcika, David Odia
et Anaclet Makanda Mpinga, Crispin Mulumba Lukoji,
Bruno Mpindu Bwabwa et Honoré Kadima Ciovo,
Cibalabala et Muipika-mpasu Kande, Joseph Kabasele
et Léon Bukasa, ton copain Jean-Marie
Ciunza Mutombo et Auguste Mabika Kalanda, ..
Il est vrai que nous sommes tous des passants ici-bas et que nous retournerons à la poussière d'où nous avons été tirés.
Tu nous a précédés, nous te suivrons; sans doute.
La question qui se pose,
cependant, est celle de savoir quand
survient la plus belle mort.
La mort qui t'a emporté, toi, Ngalula,
est des plus surprenantes et des plus irréfléchies
elle t'a arraché à l'affection de ton épouse
et de tes enfants encore si jeunes !
N'importe comment, donne-nous assez de force afin de construire,
pour les enfants, un pays
où ils vivront fiers et libres,
où ils vivront dans l'abondance,
où ils garderont de toi le meilleur des souvenirs.
N'oublie pas tes orphelins
ni la charge qui nous est dévolue et sous laquelle nous ployons.
Nous sommes chez toi dans Lupata-pata,
le pays de Cibalabala Mbombo wa Kamana, qui se porta au-devant du guerrier Mpanya et vainquit des Ciokwe;
chez toi où des hommes se métamorphosent, les uns en lions les autres en éléphants;
où l'on consomme ce que l'on produit, tandis que la récolte des autres est vouée à la destruction.
Tes racines sont près de Kalamba et de Katende,
au pays du chasseur Kabundi, qui consomme son homonyme le tarsier.
Comptent parmi tes pénates, les montagnes élancées de Kankelenge et de Kalundu,
dont les cimes sont accessibles aux seuls rongeurs,
tandis que les animaux à sabots jamais ne les atteignent.
Dignitaire de Cikama, père de famille nombreuse, jamais, de ce monde, ta trace ne disparaîtra.
Mais où élis-tu domicile?
Près de Kakangayi ou de Kadibela?
Ne traîne pas dans ta tombe:
surgis-en, comme un rat de son terrier;
réincarne-toi dans ta progéniture, réincarne-toi partout, où tu le peux.
Joseph le Visionnaire,
tu as triomphé de la vie terrestre, tu as accédé à la sainteté,
entre donc dans la paix du Ciel. Le comité d'accueil s'y compose
chère à Kalamba Mukenge et à Ngandu Yamba, à Muamba Mputu
et à Kanyukaau teint clair, à Fuamba et à Cikela à Cibwabwa,
là où se dressent des immeubles à étages, là où tu établis la carte de notre province,
en ton honneur, est entonné l'air de "cisuishe", exécuté
le pas de "Kapinga Yamba" et dansé le "Tanda c' à dy ônga".
L'exhortation s'entend:
"Lève-toi, frère, aux grands pas;
rien ne t'est reproché qui ne soit humain, seules tes qualités,
à toi, te sont exclusives. Entre donc dans la danse, frère,
venu de Nyiabi, de chez Kalunde, de Ciaciacya
et du Lac Munkamba;
le palais de Mbushi-Mayi, n'est-ce pas là ton ultime demeure?"
Te voilà dans ton palais:
que Mbuji-Mayi batte tam-tams et tambours;
que résonnent des concerts de gongs, de xylophones et de flûtes jouées par des Bakwa Mulumba;
que s'exécutent des rythmes de Cibata et de Bakwanga Bena Dipumba;
que des griots chantent des élégies,
que nos sœurs éclatent en sanglots longs
et que nos tantes rivalisent de litanies laudatives.
Ainsi nous voilà chez toi, dans ton coin natal,
chez l'entreprenant Mutombo, le patriarche de Bakua-Nsumpi,
le visionnaire qui vit des poissons d'eaux calmes,
nager à contre courant, dans une rivière impétueuse,
l'audacieux architecte, qui construisit une tour de chênes
pour atteindre le ciel;
Nous voici donc chez nous, Monsieur le Président, pour tenir ton deuil à Ditu, à Lusambo,
à Dimbelenge et à Kananga.
Ditu, c'est le pays de Madeleine Nseya, de Kabamba, qui règne à Mulundu,
c'est le pays de Kalenda Ntambwe et de Muamba Kayeye, le pays où, ''pour toute affaire,
qu'on prononce bien ou qu'on bafouille, l'important est de conclure".
Kabinda te dit "bienvenu" et te salue. Gandajika te pleure amèrement.
Chez nos frangins de Dimbelenge,
tu es le gendre de Konshi, le beau parti,
le gendre du Léopard, le gendre du Buffle,
celui des chasseurs des environs de Munkamba, celui des amateurs de luttes à mains nues,
des chasseurs qui luttent en se ceignant la taille,
des combattants de Konshi, fils de Bulaba Mfidi Mukulu, qui tailla en pièces le guerrier Mpanya
et qui attendit de pied ferme le guerrier Lumpungu, Konshi descendant de Luntu,
issu d'une termitière de latérite;
tu es le gendre de ceux qui chantent "kutu-kutu kuku: suis-je chef malgré la cécité ?"
Konshi te dit :
"bienvenu, Ciandanda Ngala Nsangi".
Dans la ville de Kananga, alias "Cimanga Mulamba",
dans Malandi, la cité de nos ancêtres,
et de Luabeya Luvuenga,
des héros Nsala Mutoke et Mpoyi, le chevalier à l'épée, des intrépides Cibangu Luamuele et Cibangu Mpasu, de Buzangu au coeur transpercé
et des dignitaires du Parlement naguère présidé par Cikela Cibangu, sous le Bambou aux racines en forme de carottes, là où le Blanc savoura l'hospitalité du Noir.
L'allusion faite à un héros l'est tout autant à tous les autres, toutefois quel vrai griot ferait la revue de ceux-ci
et la terminerait, sans une mention spéciale pour:
Cikama, l'agréable refuge de Ngalula: la colombe de paix au long cours
qui, aussi loin qu'elle fût, n'en perdit point le chemin de retour
et qui, à tire d'ailes, y revint élire sa dernière demeure.
Tu ne pouvais être inhumé là-bas
car t'attendait ici, sens dessus-dessous,
ta belle-famille des généreux descendants de Kalonji, qui tendent leur table dehors et y invitent des passants;
des vertueux de bon accueil, dont la plus grande chope est aux convives et aux hôtes;
réservée aux étrangers,
ils sont si nombreux malins que leur résidu de ratés est
si négligeable; ils sont si nombreux à teint clair que l'avoir foncé leur paraît être un luxe.
A leur avis, leurs villages sont les seuls cadres de vie et de sécurité, les seuls lieux où peuvent être enterrés des gens de bien, le reste du monde étant l'espace de leur abandon sans rites.
De ton temps, celui, qui avait !'habilité de prendre le pouvoir, l'exerçait en solitaire, comme il voulait et comme il pouvait;
des slogans exaltaient le pouvoir et mettaient l'emphase sur la foi que : "il était d'autant plus séduisant qu'il était conquis
de force";
le discours en était lénifiant et la pratique fatale. Ta démarche à toi était toute autre,
ta démarche
démocratique visait à l'exercer en équipe,
avec le souci de lui assigner des objectifs collectifs à atteindre; pour ce faire, tu n'utilisas que les moyens de la parole et
de l'écrit; aussitôt qu'il
s'avérait à la portée de la main,
des rapaces fonçaient dessus, dans un charivari assourdissant, alors que les gens de bien en étaient comme distraits ...
En vertu de ces
prémisses, mon cher Ngalula, dis-moi,
qui, mieux que les infants, pouvait te porter noblement en terre, sinon faire autant qu'eux
dans l'art de t'ensevelir comme chef?
Tu ne pouvais être inhumé là-bas,
toi le gendre de ceux qui tiennent le haut du pavé
au marché de Mayenga, au village
de Cimpuma Mukendi, chez le marchand de sel, Mukendi wa Bajabala,
pour qui tous les insectes ont bonne sauce, lui, le maître de qua- tre termitières en effervescence: la première,
source de fournis rouges,
les deux autres, sources de deux
variétés de fourmis ailées, et la dernière, celle de larves protéinées.
Loin de Cimpuma, le pays de ton cœur,
tu lui exprimais ton attachement, coûte que coûte, par le
goût que tu en gardais pour des mets
de fourmis, de chenilles, de haricots et de champignons.
Ta tombe a sa place ici, toi,
le neveu par alliance des
valeureu- ses gens du village
de Mukendi Kasumbi,
ainsi que des descendants de Lunkana
et qui ont, parmi leurs pénates, un
souterrain sous Mbujimayi et une série de lacs dont un lac d'ammoniaque et des étangs d'eau
douce;
ils occupent
une contrée au magnifique sol argileux
et fertile, où la récolte s'engrange en masse,
dès le lendemain du
labourage et du sarclage.
Si Nseya n'avait observé
une sévère ascèse et des interdits, les infants n'auraient connu ni le nombre ni la joie.
Toutefois les haricots ne se récoltent pas le jour de leur ensemence- ment;
un chien ne se couvre pas de gale
le jour qu'il croque un crapaud; il n'y a pas de récompense immédiate
à toute peine ;
ta
traversée de désert est telle celle des
infants :
qui, trahis, traversèrent un champ de
quartz jusqu'au mémorable
lieu dit Kabala
où ils reçurent les adieux du prince Ngandu,
paré tel un phénix, devant la mort comme pour un banquet !
Les infants sont des
protestateurs de toujours, ils le sont
même en plein sommeil
;
ils sont des créanciers
intraitables qui, sans cesse, revendiquent
la restitution de leur royal droit dévolu par héritage
que, par stellionat, un certain
Kazuluku accapara, avec l'argument que: "l'héritier étant
trop petit, lui garder le pouvoir c'est l'exercer à sa place".
Des comportements politiques se reproduisent, malgré le temps;
le visage du colonialisme a les traits de
la dictature d'après l'indépendance.
Tu ne pouvais être inhumé là-bas, toi le beau-frère des infants de Kabimba et de Kampema Mukendi; les authentiques nobles descendants
de la
Reine Nseya,
la Reine aux mille malheurs,
épousée, en secondes
noces, après une femme invivable,
•
qui se jeta avec ses enfants du
haut d'une chute d'eau,
et qui, plus bas, devint un croquant crocodile, son fils cadet devint, à son tour,
le léopard royal,
tandis que le plus
grand se transforma en un lion méchant.
S'instaura alors le jeu de massacres où des frères furent des proies de leurs frères métamorphosés : l'existence ici-bas devint invivable et l'au-delà désirable,
toute corde enroulée se métamorphosait en serpent, tout bien était porteur de méchanceté.
Ainsi l'initiative de culture des haricots prise par Nseya, fut le motif de l'exode des infants vers Mintembele.
Nous étions devenus alors des oiseaux migrateurs : sans horizon et sans frontières ;
le chemin qui nous conduisit chez-nous, en pays de sécurité, tu le taillas dans le roc à coup de hardiesse et de compétence, pour le retour vers le coin de refuge de la Reine Nseya.
Nseya, la reine à louer le matin et le soir,
digne de recevoir la lune en cadeau, en mémoire de qui nous avons à porter un deuil sans fin,
esprit conquérant, contestataire de l'ordre, opposée, dès lors, au par- tage de plat de haricots,
elle observa des interdits avec une dévotion religieuse, s'interdit la chair de singe et de toute bête dévoreuse d'homme et tint bon ... jusqu'à sa tombe sur le plateau de Kaseya, dans l'intérêt des infants, qui, maintenant, habitent notamment à Mintembele,
Tu as été un grand chêne du bord du grand chemin dont la cime tutoyait les cumulo-nimbus,
dont l'ombre au sol dessinait un espace immense où venaient s'abriter, du soleil et de la pluie, pêle-mêle, grands et petits:
ta chute a eu un écho tel que
tu ne peux être inhumé discrètement, en privé, tel un fœtus ou un mort-né;
ta tombe a sa place dans une cour soignée, accessible à toutes les foules de visiteurs.
Merci d'avoir autorisé la translation de ta dépouille, jusque dans ce coin où nous nous sentons à l'aise,
où nous avons le réflexe de liberté,
dans ta terre natale du Kasaï Oriental.
Ta tombe a sa place ici,
toi le fondateur de Mbuji-Mayi:
le don de la grâce divine, la ville où plus d'un tente sa chance,
la ville riante et d'accueil chaleureux, la ville à décorer tel un arbre de Noël,
avec des perles de valeur et tout ce qui brille, lieu d'où, matin et soir, s'élève la prière,
la capitale mondiale du diamant,
la ville cosmopolite, ouverte à l'intégration de ses habitants.
Quelle source d'inspiration, autre que la tienne, peut nous armer de la force nécessaire
pour endiguer et combler les érosions et les ravins qui en menacent l'existence?
tu as été le terrassier, qui donna une sépulture aux nôtres, victimes de massacres de masse sur les sites de Bonzola,
de Citenge et de Kasengulu;
tu as été le ministre : chargé de défaire et de faire des événe- ments;
tu as été l'homme à la "une"
investi du pouvoir de réconforter la multitude.
le chancelier, préposé aux convives, aux hôtes et aux étrangers, tu as été le bâtisseur des écoles, le pourvoyeur de bourses d'études et tu nous as donné la chance d'étudier.
Bourreau du travail, même cloué au lit, malade,
la plume ne quittait ta main pour consigner faits et pensées.
Tu as été l'inspirateur
des idées devenues le fonds de commerce des uns et des autres; tu nous aimais du fond de ton coeur
et te voilà parti avec plein d'idées non énoncées.
Ne vas donc pas traîner là-haut,
le pays d'en-bas désire ardemment ton retour; mourir c'est dormir : n'y prends pas trop goût;
réincarne-toi au plus tôt; viens achever l'œuvre ébauchée. Nous aspirons à une société conviviale :
où celui qui fait son champ, récolte et consomme à satiété, où celui qui met au monde, élève ses petits
et les amène au mariage, où celui qui vient au monde, vieillit et voit prospérer sa progéniture;
où personne n'enlève le pain de la bouche d'un autre, ne le prive ni du droit d'initiatives,
ni de celui de disposer d'un outil de travail.
Maître des eaux et forêts, grand parmi nos grands,
ton coeur s'est arrêté sur le site où tu étais parti à la chasse:
le transfèrement de tes restes est notre seule victoire sur ta mort.
Tu étais pour nous le sage de référence dont nous étions particulièrement fiers,
le combattant du désordre, de toute chienlit, un homme agréable, imprégné d'entregent,
un homme à l'intelligence vive, habile, intrépide et efficace, toujours prêt pour l'action, ouvert au dialogue des générations, un homme auprès de qui des petits se sentaient "grands";
pour toi, l'amitié était une prise en otage interminable: ton ire était passagère et fugace.
Tu as été un journaliste combattant des droits de l'homme; un concepteur et réalisateur de projets;
un stratège, plein de sang froid;
un chef d'Etat-Major de notre défense;
un conquérant, victorieux de l'ennemi même averti; un homme de courage, un cœur vaillant,
un partisan de la vérité quoi qu'il en coûte;
un entrepreneur qui ne reculait devant aucun risque; un miraculé de morsure au lit par un serpent venimeux; un cœur compatissant et un libérateur des asservis;
un cœur accueillant comme un palais ouvert au monde: plein à ras-bord, ton coeur a chaviré sous le poids des hôtes.
Ne nous tourne donc pas le dos,
ne nous délaisse pas, Monsieur le Président. Tu as été le maître de cérémonies,
qui accueillait et installait les nôtres, tu as été le passeur d'eau
qui nous fit franchir Muanza-Ngoma;
président de sociétés, responsable de communauté, Gouverneur honoraire du Kasai Oriental,
Ministre honoraire de l'Education Nationale, tends-nous l'oreille, écoute l'hommage
qui t'est rendu par le père de tes neveux, le mari de ta sœur cadette,
ton beau-frère,
à la fois ton copain
et ton partenaire dans le jeu d'échange d'idées.
Notre tristesse est aussi étendue qu'un océan immense, du fait que, toi, qui arpentais, en long et en large,
cet immense pays,
te voilà, aujourd'hui, devant nous, étendu et inerte.
L'étreinte de la douleur nous réduit la taille à celle d'une guêpe, à l'idée que toi, maître de la parole et l'avocat de notre cause,
tu t'es désormais drapé de silence, et t'en es allé, emportant les idées que tu avais encore à nous proposer.
En constatant que, toi, le pionnier de la presse congolaise, tu as rangé ta plume d'or,
ainsi que ton encrier,
et cessé de nous faire partager ton point de vue sur le monde, nous avons les larmes aux yeux et nous pleurons abondamment en dedans.
Toi, le grand militant de l'instauration de la démocratie, toi, le grand défenseur de la "res publica"
te voilà parti : est-ce pour nous abandonner aux mains des prédateurs ?
- Joseph Mukendi Kalala Mbuji-Mayi, 15 février, 2001